La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°491)
Chapitre III
Malheureusement, cette année-là, Davoine fut déclaré en faillite. Ce désastre était prévu, les Chanteau n'en reçurent pas moins un coup terrible. Ils restaient avec leurs trois mille francs de rente. Tout ce qu'ilspurent tirer de la débâcle, une douzaine de mille francs, fut aussitôt placé et leur compléta, en tout, trois cents francs par mois. Aussi madame Chanteau, dès la seconde quinzaine, dut-elle prendre cinquante francs sur l'argent de Pauline : le boucher de Verchemont attendait avec sa note, on ne pouvait le renvoyer. Puis, ce furent cent francs pour l'achat d'une lessiveuse, jusqu'à des dix francs de pommes de terre et des cinquante sous de poisson. Elle en était arrivée à entretenir Lazare et l'usine, par petites sommes honteuses, au jour le jour ; et elle tomba plus bas, aux centimes du ménage, aux trous de la dette bouchés misérablement. Vers les fins de mois surtout, on la voyait sans cesse disparaître d'un pas discret et revenir presque aussitôt, la main dans sa poche, d'où elle se décidait à sortir, pour une facture, des sous un à un. L'habitude se trouvait prise, elle achevait de vivre sur le tiroir du secrétaire, emportée, ne résistant plus. Pourtant, dans l'obsession qui la ramenait toujours là, le meuble, lorsqu'elle baissait le tablier, jetait un léger cri, dont elle restait énervée. Quel vieux bahut ! dire qu'elle n'avait jamais pu s'acheter un bureau propre ! Ce secrétaire vénérable, qui, bourré d'une fortune, avait d'abord donné à la maison un air de gaieté et de richesse, la ravageait aujourd'hui, était comme la boîte empoisonnée de tous les fléaux, lâchant le malheur par ses fentes.