La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°671)

Chapitre IV

L'espoir de vaincre la mer l'enfiévrait. Il avait conservé contre elle une rancune, depuis qu'il l'accusait sourdement de sa ruine, dans l'affaire des algues. S'il n'osait l'injurier tout haut, il nourrissait l'idée de se vengerun jour. Et quelle plus belle vengeance, que de l'arrêter dans sa destruction aveugle, de lui crier en maître : " Tu n'iras pas plus loin ! " Il entrait aussi, dans cette entreprise, en dehors de la grandeur du combat, une part de philanthropie qui achevait de l'exalter. Lorsque sa mère l'avait vu perdre ses journées à tailler des morceaux de bois, le nez sur des traités de mécanique, elle s'était rappelé en tremblant le grand-père, le charpentier entreprenant et brouillon, dont le chef-d'œuvre inutile dormait sous une boîte vitrée. Est-ce que le vieux allait renaître, pour achever la ruine de la famille ? Puis, elle s'était laissé convaincre par ce fils adoré. S'il réussissait, et il réussirait naturellement, c'était enfin le premier pas, une belle action, une œuvre désintéressée qui le mettrait en lumière ; de là, il irait aisément où il voudrait, aussi haut qu'il en aurait l'ambition. Depuis ce jour, toute la maison ne rêvait plus que d'humidifier la mer, de l'enchaîner au pied de la terrasse dans une obéissance de chien battu.

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