La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°690)

Chapitre IV

Ce furent quinze jours charmants. Le jeune homme avait d'abord regardé sa nouvelle compagne avec surprise. Elle le changeait de l'autre, criant pour un crabe qui effleurait sa bottine, ayant une frayeur de l'eau si grande, qu'elle se croyait noyée, s'il lui fallait sauter une flaque. Les galets blessaient ses petits pieds, elle ne quittait jamais son ombrelle, gantée jusqu'aux coudes, avec la continuelle peur de livrer au soleil un coin de sa peau délicate. Puis, après le premier étonnement, il s'était laissé séduire par ces grâces peureuses, cette faiblesse toujours prête à lui demander protection. Celle-là ne sentait pas seulement le grand air, elle le grisait de son odeur tiède d'héliotrope ; et ce n'était plus enfin un garçon qui galopait à son côté, c'était une femme, dont les bas entrevus, dans un coup de vent, faisaient battre le sang de ses veines. Pourtant, elle était moins belle que l'autre, plus âgée et déjà pâlie ; mais elle avait un charmecâlin, ses petits membres souples s'abandonnaient, toute sa personne coquette se fondait en promesses de bonheur. Il lui semblait qu'il la découvrait brusquement, il ne reconnaissait pas la fillette maigre de jadis. Etait-ce possible que les longues années du pensionnat en eussent fait cette jeune fille si troublante, pleine de l'homme dans sa virginité, ayant au fond de ses yeux limpides le mensonge de son éducation ? Et il se prenait peu à peu pour elle d'un goût singulier, d'une passion perverse, où son ancienne amitié d'enfant tournait à des raffinements sensuels.

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