La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°75)

Chapitre I

Ce fut Pauline qui reparut la première, laissant sa tante le nez dans une terrine. Chanteau avait repris sa place devant le feu, au fond de son grand fauteuil de velours jaune ; et il se frottait les jambes d'un geste machinal, avec la peur d'une crise prochaine, tandis que Lazare coupait des tranches de pain, debout devant la table, où quatre couverts étaient mis depuis plus d'une heure. Les deux hommes, un peu gênés, souriaient à l'enfant, sans trouver une parole. Elle, tranquillement, examinait la salle meublée de noyer, passant du buffet et de la demi-douzaine de chaises à la suspension de cuivre verni, retenue surtout par cinq lithographies encadrées, les Saisons et une Vue du Vésuve, qui se détachaient sur le papier marron des murailles. Sans doute le faux lambris de chêne peint, égratigné d'éraflures plâtreuses, le parquet sali d'anciennes taches de graisse, l'abandon de cette pièce commune où la famille vivait, lui firent regretter la belle charcuterie de marbre qu'elle avait quittée la veille, car ses yeux s'attristèrent, elle sembla deviner un instant les sourdes aigreurs cachées sous la bonhomie de ce milieu nouveau pour elle. Enfin, ses regards, après s'être intéressés à un baromètre très ancien, dans un cartel de bois doré, se fixèrent sur une construction étrange qui tenait toute la tablette de la cheminée, sous une boîte de verre collée aux arêtes par de minces bandes de papier bleu. On aurait dit un jouet, un pont de bois en miniature, mais un pont d'une charpente extraordinairement compliquée.

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