La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°779)

Chapitre IV

Alors, commença l'existence d'angoisses, le cauchemar que l'on vit dans la chambre d'un malade. Lazare, cédant à un sentiment d'affection sauvage, en chassait tout le monde ; c'était à peine s'il laissait sa mère et Louise entrer le matin, pour prendre des nouvelles, et il n'admettait que Véronique, chez laquelle il sentait une tendresse véritable. Les premiers jours, madame Chanteau avait voulu lui faire comprendre l'inconvenance de ces soins donnés par un homme à une jeune fille ; mais il s'était récrié, est-ce qu'il n'était pas son mari ? puis, les médecins soignaient bien les femmes. Entre eux, il n'y avait, en effet, aucune gêne pudique. La souffrance, la mort prochaine peut-être, emportaient les sens. Il lui rendait tous les petits services, la levait, la recouchait, en frère apitoyé qui ne voyait de ce corps désirable que la fièvre dont il frissonnait. C'était comme le prolongement de leur enfance bien portante, ils retournaient à la nudité chaste de leurs premiers bains, lorsqu'il la traitait en gamine. Le monde disparaissait, rien n'existait plus, rien que la potion à boire, le mieux annoncé attendu vainement d'heure en heure, les détails bas de la vie animale prenant soudain une importance énorme, décidant de la joie ou de la tristesse des journées. Et les nuits suivaient les jours, l'existence de Lazare était comme balancée au-dessus du vide, avec la peur, à chaque minute, d'une chute dans le noir.

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