La Terre

La Terre (paragraphe n°1033)

Chapitre V

Ah ! tout fout le camp ! cria-t-il avec brutalité. Oui, nos fils verront ça, la faillite de la terre... Savez-vous bien que nos paysans, qui jadis amassaient sou à sou l'achat d'un lopin, convoité des années, achètent aujourd'hui des valeurs financières, de l'espagnol, du portugais et même du mexicain ? Et ils ne risqueraient pas cent francs pour amender un hectare ! ils n'ont plus confiance, les pères tournent dans leur routine comme des bêtes fourbues, les filles et les garçons n'ont que le rêve de lâcher les vaches, de se décrasser du labour pour filer à la ville... Mais le pis est que l'instruction, vous savez ! la fameuse instruction qui devait sauver tout, active cette émigration, cette dépopulation des campagnes, en donnant aux enfants une vanité sotte et le goût du faux bien-être... A Rognes, tenez ! ils ont un instituteur, ce Lequeu, un gaillard échappé à la charrue, dévoré de rancune contre la terre qu'il a failli cultiver. Eh bien ! comment voulez-vous qu'il fasse aimer leur condition à ses élèves, lorsque tous les jours il les traite de sauvages, de brutes, et les renvoie au fumier paternel, avec le mépris d'un lettré ?... Le remède, mon Dieu ! le remède, ce serait assurément d'avoir d'autres écoles, un enseignement pratique, des cours gradués d'agriculture...Voilà, monsieur le député, un fait que je vous signale. Insistez là-dessus, le salut est peut-être dans ces écoles, s'il en est temps encore.

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