La Terre

La Terre (paragraphe n°1045)

Chapitre V

A moins qu'on ne les tue l'une et l'autre, tout de suite ; et c'est ce qu'on est en train de faire... Dites-vous, monsieur le député, que l'agriculture agonise, qu'elle est morte, si l'on ne vient pas à son secours. Tout l'écrase, les impôts, la concurrence étrangère, la hausse continue de la main-d'œuvre, l'évolution de l'argent qui va vers l'industrie et vers les valeurs financières. Ah ! certes, onn'est pas avare de promesses, chacun les prodigue, les préfets, les ministres, l'empereur. Et puis, la route poudroie, rien n'arrive... Voulez-vous la stricte vérité ? Aujourd'hui, un cultivateur qui tient le coup, mange son argent ou celui des autres. Moi, j'ai quelques sous en réserve, ça va bien. Mais que j'en connais qui empruntent à six, lorsque leur terre ne donne pas seulement le trois. La culbute est fatalement au bout. Un paysan qui emprunte est un homme fichu, il doit y laisser jusqu'à sa chemise. L'autre semaine encore, on a expulsé un de mes voisins, le père, la mère et quatre enfants jetés à la rue, après que les hommes de loi ont eu mangé le bétail, la terre et la maison... Pourtant, voici des années qu'on nous promet la création d'un crédit agricole à des taux raisonnables. Oui ! va-t'en voir s'ils viennent !... Et ça dégoûte même les bons travailleurs, ils en arrivent à se tâter, avant de faire un enfant à leurs femmes. Merci ! une bouche de plus, un meurt-la-faim qui serait désespéré de naître ! Quand il n'y a pas de pain pour tous, on ne fait plus d'enfants, et la nation crève !

?>