La Terre

La Terre (paragraphe n°1148)

Chapitre VI

Pourtant, dehors, au lieu de gagner directement, par la rue du Temple, le marché des bestiaux, qui se tenait sur la place Saint-Georges, le garçon et les deux filles s'arrêtèrent, flânèrent le long de la rue Grande, parmi les marchandes de légumes et de fruits, installées aux deux bords. Lui, coiffé d'une casquette de soie, avait une grande blouse bleue, sur un pantalon de drap noir ; elles, également endimanchées, les cheveux serrés dans leurs petits bonnets ronds, portaient des robes semblables, uncorsage de lainage sombre sur une jupe gris fer, que coupait un grand tablier de cotonnade à minces raies roses ; et ils ne se donnaient pas le bras, ils marchaient à la file, les mains ballantes, au milieu des coudoiements de la foule. C'était une bousculade de servantes, de bourgeoises, devant les paysannes accroupies, qui, venues chacune avec un ou deux paniers, les avaient simplement posés et ouverts par terre. Ils reconnurent la Frimat, les poignets cassés, ayant de tout dans ses deux paniers débordants, des salades, des haricots, des prunes, même trois lapins en vie. Un vieux, à côté, venait de décharger une carriole de pommes de terre, qu'il vendait au boisseau. Deux femmes, la mère et la fille, celle-ci, Norine, rouleuse et célèbre, étalaient sur une table boiteuse de la morue, des harengs salés, des harengs saurs, un vidage de fond de baril dont la saumure forte piquait à la gorge. Et la rue Grande, si déserte en semaine, malgré ses beaux magasins, sa pharmacie, sa quincaillerie, surtout ses Nouveautés parisiennes, le bazar de Lambourdieu, n'était pas assez large chaque samedi, les boutiques combles, la chaussée barrée par l'envahissement des marchandes.

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