La Terre

La Terre (paragraphe n°1346)

Chapitre VII

La Grande fut encore celle qui tint le plus longtemps. A minuit, elle s'acharnait sur les petits fours, avec le désespoir muet de ne pouvoir les finir. On avait torché les jattes des crèmes, balayé les miettes du gâteau monté. Et, dans l'abandon de l'ivresse croissante, les agrafes des corsages défaites, les boucles des pantalons lâchées, on changeait de place, on causait par petits groupes autour de la table, grasse de sauce, maculée de vin. Des essais de chansons n'avaient pas abouti, seule la vieille Rose, la face noyée, continuait à fredonner une polissonnerie de l'autre siècle, un refrain de sa jeunesse, dont sa tête branlante marquait la mesure. On était aussi trop peu pour danser, les hommes préféraient vider les litres d'eau-de-vie, en fumant leurs pipes, qu'ils tapaient sur la nappe, pour en faire tomber les culots. Dans un coin, Fanny et Delhomme supputaient à un sou près, devant Jean et Tron, quelle allait être la situation pécuniaire des mariés et quelles seraient leurs espérances : cela dura interminablement, chaque centimètre carré de terre était estimé, ils connaissaient toutes les fortunes de Rognes, jusqu'aux sommes représentées par le linge. A l'autre bout, Jacqueline s'était emparée de monsieur Charles, qu'elle contemplait avec un sourire invincible, ses jolis yeux pervers allumés de curiosité. Elle le questionnerait.

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