La Terre

La Terre (paragraphe n°1791)

Partie : TROISIEME PARTIE, chapitre IV

Ce soir-là, Hourdequin régla le compte de ses moissonneurs, qui avaient fini la besogne convenue. Les hommes emportaient cent vingt francs, les femmes soixante, pour leur mois de travail. C'était une année bonne, pas trop de blés versés où la faux s'ébrèche, pas un orage pendant la coupe. Aussi fut-ce au milieu de grands cris que le capitaine, accompagné de son équipe, présenta la gerbe, la croix d'épis tressés, à Jacqueline, qu'on traitait en maîtresse de la maison ; et la " ripane ", le repas d'adieu traditionnel, fut très gai : on mangea trois gigots et cinq lapins, on trinqua si tard, que tous se couchèrent en ribote. Jacqueline, grise elle-même, faillit se faire prendre par Hourdequin, au cou de Tron. Etourdi, Jean était allé se jeter sur la paille de sa soupente. Malgré sa fatigue, il ne dormit point, l'image de Françoise était revenue et le tourmentait. Cela lui causait de la surprise, presque de la colère, car il avait eu si peu de plaisir avec cette fille, après tant de nuits passées à la vouloir ! Depuis, il se sentait tout vide, il aurait bien juré qu'il ne recommencerait pas. Et voilà qu'à peine couché, il larevoyait se dresser, il la désirait encore, dans une rage d'évocation charnelle : l'acte, là-bas, renaissait, cet acte auquel il n'avait pas pris goût, dont les moindres détails, maintenant, fouettaient sa chair. Comment la ravoir, où la tenir le lendemain, les jours suivants, toujours ? Un frôlement le fit tressaillir, une femme se coulait près de lui : c'était la Percheronne, la ramasseuse, étonnée qu'il ne vînt point, cette nuit dernière. D'abord, il la repoussa ; puis, il l'étouffa d'une étreinte ; et il était avec l'autre, il l'aurait brisée ainsi, les membres serrés, jusqu'à l'évanouissement.

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