La Terre

La Terre (paragraphe n°2321)

Chapitre III

Sans doute, la Trouille n'avait pas tous les soirs à cuisiner des haricots rouges et du veau aux oignons. Cela n'arrivait que lorsqu'on avait tiré du père une pièce blanche, et Jésus-Christ, sans y mettre de la discrétion, nele violentait pas, le prenait par la gourmandise et les sentiments pour le dépouiller. On noçait les premiers jours du mois, dès qu'il avait touché les seize francs de sa pension, chez les Delhomme ; puis, c'étaient des fêtes à tout casser, chaque trimestre, quand le notaire lui versait sa rente de trente-sept francs cinquante. D'abord, il ne sortait que des pièces de dix sous, voulant que ça durât, entêté dans son avarice ancienne ; et, peu à peu, il s'abandonnait aux mains de son grand vaurien de fils, chatouillé, bercé d'histoires extraordinaires, parfois secoué de larmes, si bien qu'il lâchait des deux et trois francs, tombant lui-même à la goinfrerie, se disant qu'il valait mieux tout manger de bon cœur, puisque, tôt ou tard, ce serait mangé. D'ailleurs, on devait rendre cette justice à Jésus-Christ : il partageait avec le vieux, il l'amusait au moins, s'il le volait. Au début, l'estomac attendri, il ferma les yeux sur le magot, ne tenta point de savoir : son père était libre de jouir à sa guise, on ne pouvait rien lui demander de plus, du moment qu'il payait des noces. Et des rêveries ne lui venaient sur l'argent entrevu, caché quelque part, que dans la seconde quinzaine du mois, quand les poches du vieux étaient vides. Pas un liard à en faire sortir. Il grognait contre la Trouille, qui servait des pâtées de pommes de terre sans beurre, il se serrait le ventre, en songeant que c'était bête en somme de se priver pour enfouir des sous, et qu'un jour, à la fin, faudrait le déterrer et le claquer, ce magot !

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