La Terre

La Terre (paragraphe n°2777)

Chapitre VI

Quand on répéta la nouvelle à Buteau, il eut un geste de terrible menace. Il criait à qui voulait l'entendre qu'il ne sortirait pas vivant, que les soldats seraient obligés de démolir les murs, avant de l'en arracher. Et, dans le pays, on ne savait s'il faisait le fou, ou s'il l'était réellement devenu, tant sa colère touchait à l'extravagance. Il passait sur les routes, debout à l'avant de sa voiture, au galop de son cheval, sans répondre, sans crier gare ; même on l'avait rencontré la nuit, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, revenant on ne savait d'où, du diable bien sûr. Un homme, qui s'était approché, avait reçu un grand coup de fouet. Il semait la terreur, le village fut bientôt encontinuelle alerte. On s'aperçut, un matin, qu'il s'était barricadé chez lui ; et des cris effroyables s'élevaient derrière les portes closes, des hurlements où l'on croyait reconnaître les voix de Lise et de ses deux enfants. Le voisinage en fut révolutionné, on tint conseil, un vieux paysan finit par se dévouer en appliquant une échelle à une fenêtre, pour monter voir. Mais la fenêtre s'ouvrit, Buteau renversa l'échelle et le vieux, qui faillit avoir les jambes rompues. Est-ce qu'on n'était pas libre chez soi ? Il brandissait les poings, il gueulait qu'il aurait leur peau à tous, s'ils le dérangeaient encore. Le pis fut que Lise se montra, elle aussi, avec les deux mioches, lâchant des injures, accusant le monde de mettre le nez où il n'avait que faire. On n'osa plus s'en mêler. Seulement, les transes grandirent à chaque nouveau vacarme, on venait écouter en frémissant les abominations qu'on entendait de la rue. Les malins croyaient qu'il avait son idée. D'autres juraient qu'il perdait la boule et que ça finirait par un malheur. Jamais on ne sut au juste.

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