La Terre

La Terre (paragraphe n°2805)

Chapitre VI

C'était toute une épouvante qui le faisait galoper, en fuite du Château. Il ne pouvait plus se réveiller la nuit, sans que la Trouille en chemise promenât dans la chambre sa maigre nudité de garçon, à la recherche des papiers, qu'il avait fini par cacher dehors, au fond d'un trou de roche, muré de terre. Jésus-Christ l'envoyait, cette garce, à cause de sa légèreté, de sa souplesse, pieds nus, se coulant partout, entre les chaises, sous le lit, ainsi qu'une couleuvre ; et elle se passionnait à cette chasse, persuadée que le vieux reprenait les papiers sur lui en s'habillant, furieuse de ne pas découvrir où il les déposait, avant de se coucher ; car il n'y avait certainement rien dans le lit, elle y enfonçait son bras mince, le sondait d'une main adroite, dont le grand-père devinait à peine le frôlement. Mais voilà qu'après le déjeuner, ce jour-là, il avait été pris d'une faiblesse, étourdi, culbuté près de la table. Et, en revenant à lui, si assommé encore qu'il ne rouvrait pas les yeux, il s'était retrouvé par terre, à lamême place, il avait eu l'émotion de sentir que Jésus-Christ et la Trouille le déshabillaient. Au lieu de lui porter secours, les bougres n'avaient qu'une idée, profiter vite de l'occasion, le visiter. Elle surtout y mettait une brutalité colère, n'y allant plus doucement, tirant sur la veste, sur la culotte, et aïe donc ! regardant jusqu'à la peau, dans tous les trous, afin d'être sûre qu'il n'y avait pas fourré son magot. Des deux poings elle le retournait, lui écartait les membres, le fouillait comme une vieille poche vide. Rien ! Où donc avait-il sa cachette ? C'était à l'ouvrir pour voir dedans ! Une telle terreur d'être assassiné, s'il bougeait, l'avait saisi, qu'il continuait de feindre l'évanouissement, les paupières closes, les jambes et les bras morts. Seulement, lâché enfin, libre, il s'était enfui, bien résolu à ne pas coucher au Château.

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