La Terre

La Terre (paragraphe n°2929)

Chapitre II

Machinalement, il traversa le pont et se trouva devant la petite ferme des Delhomme. Tout de suite, quand il s'en aperçut, il obliqua, tourna derrière la maison, pour qu'on ne le vît point. Là, il fit une nouvelle pause, collé contre le mur de l'étable, dans laquelle il entendait causer Fanny, sa fille. Etait-ce donc qu'il avait songé à se remettre chez elle ? lui-même n'aurait pu le dire, ses pieds seuls l'avaient conduit. Il revoyait l'intérieur du logis, comme s'il y était rentré, la cuisine à gauche, sa chambre au premier, au bout du fenil. Un attendrissement lui coupait les jambes, il aurait défailli, si le mur ne l'avait soutenu. Longtemps, il resta immobile, sa vieille échine calée contre cette maison. Fanny parlait toujours dans l'étable, sans qu'il pût distinguer les mots : c'était peut-être ce gros bruit étouffé qui lui remuait le cœur. Mais elle devait quereller une servante, sa voix se haussa, il l'entendit, sèche et dure, sans paroles grossières, dire des choses si blessantes à cette malheureuse, qu'elle en sanglotait. Et il en souffrait lui aussi, son émotion s'en était allée, il se raidissait, à la certitude que, s'il avait poussé la porte, sa fille l'aurait accueilli de cette voix mauvaise. Il s'imagina, qu'elle répétait : " Papa, il viendra nous demander à genoux de le reprendre ! ", la phrase qui avait coupé tous liens entre eux, à jamais, commed'un coup de hache. Non, non ! plutôt mourir de faim, plutôt coucher derrière une haie, que de la voir triompher, de son air fier de femme sans reproche ! Il décolla son dos de la muraille, il s'éloigna péniblement.

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