La Terre

La Terre (paragraphe n°565)

Chapitre V

D'abord, il était question des Gaulois libres, réduits en esclavage par les Romains, puis conquis par lesFrancs, qui, des esclaves, firent des serfs, en établissant la féodalité. Et le long martyre commençait, le martyre de Jacques Bonhomme, de l'ouvrier de la terre, exploité, exterminé, à travers les siècles. Pendant que le peuple des villes se révoltait, fondant la commune, obtenant le droit de bourgeoisie, le paysan isolé, dépossédé de tout et de lui-même, n'arrivait que plus tard à s'affranchir, à acheter de son argent la liberté d'être un homme ; et quelle liberté illusoire, le propriétaire accablé, garrotté par des impôts de sang et de ruine, la propriété sans cesse remise en question, grevée de tant de charges, qu'elle ne lui laissait guère que des cailloux à manger ! Alors, un affreux dénombrement commençait, celui des droits qui frappaient le misérable. Personne n'en pouvait dresser la liste exacte et complète, ils pullulaient, ils soufflaient à la fois du roi, de l'évêque et du seigneur. Trois carnassiers dévorants sur le même corps : le roi avait le cens et la taille, l'évêque avait la dîme, le seigneur imposait tout, battait monnaie avec tout. Plus rien n'appartenait au paysan, ni la terre, ni l'eau, ni le feu, ni même l'air qu'il respirait. Il lui fallait payer, payer toujours, pour sa vie, pour sa mort, pour ses contrats, ses troupeaux, son commerce, ses plaisirs. Il payait pour détourner sur son fonds l'eau pluviale des fossés, il payait pour la poussière des chemins que les pieds de ses moutons faisaient voler, l'été, aux grandes sécheresses. Celui qui ne pouvait payer, donnait son corps et son temps, taillable et corvéable à merci, obligé de labourer, moissonner, faucher, façonner la vigne, curer les fossés du château, faire et entretenir les routes. Et les redevances en nature ; et les banalités, le moulin, le four, le pressoir, où restait le quart des récoltes ; et le droit de guet et de garde qui subsista enargent, même après la démolition des donjons ; et le droit de gîte, de prise et pourvoirie, qui, sur le passage du roi ou du seigneur, dévalisait les chaumières, enlevait les paillasses et les couvertures, chassait l'habitant de chez lui, quitte à ce qu'on arrachât les portes et les fenêtres, s'il ne déguerpissait pas assez vite. Mais l'impôt exécré, celui dont le souvenir grondait encore au fond des hameaux, c'était la gabelle odieuse, les greniers à sel, les familles tarifées à une quantité de sel qu'elles devaient quand même acheter au roi, toute cette perception inique dont l'arbitraire ameuta et ensanglanta la France.

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