La Terre

La Terre (paragraphe n°577)

Chapitre V

Alors, quand il souffrait trop, Jacques Bonhomme se révoltait. Il avait derrière lui des siècles de peur et de résignation, les épaules durcies aux coups, le cœur si écrasé, qu'il ne sentait pas sa bassesse. On pouvait le frapper longtemps, l'affamer, lui voler tout, sans qu'il sortit de sa prudence, de cet abêtissement où il roulait des choses confuses, ignorées de lui-même ; et cela jusqu'à une dernière injustice, une souffrance dernière, qui lefaisait tout d'un coup sauter à la gorge de ses maîtres, comme un animal domestique, trop battu et enragé. Toujours, de siècle en siècle, la même exaspération éclate, la jacquerie arme les laboureurs de leurs fourches et de leurs faux, quand il ne leur reste qu'à mourir. Ils ont été les Bagaudes chrétiens de la Gaule, les Pastoureaux du temps des Croisades, plus tard les Croquants et les Nu-pieds courant sus aux nobles et aux soldats du roi. Après quatre cents ans, le cri de douleur et de colère des Jacques, passant encore à travers les champs dévastés, va faire trembler les maîtres, au fond des châteaux. S'ils se fâchaient une fois de plus, eux qui sont le nombre, s'ils réclamaient enfin leur part de jouissance ? Et la vision ancienne galope, de grands diables demi-nus, en guenilles, fous de brutalité et de désirs, ruinant, exterminant, comme on les a ruinés et exterminés, violant à leur tour les femmes des autres !

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