La Terre

La Terre (paragraphe n°595)

Chapitre V

Dix heures sonnaient, et à ce mot qui concluait avec la rudesse d'un coup de hache, Rose alla chercher un pot de châtaignes, qu'elle avait laissé dans les cendres chaudes de la cuisine, le régal obligé du soir de la Toussaint. Même elle rapporta deux litres de vin blanc, pour que la fête fût complète. Dès lors, on oublia les histoires, la gaieté monta, les ongles et les dents travaillèrent à tirer de leurs cosses les châtaignes bouillies, fumantes encore. La Grande avait englouti tout de suite sa part dans sa poche, parce qu'elle mangeait moins vite. Bécu et Jésus-Christ les avalaient sans les éplucher, en se les lançant de loin au fond de la bouche ; tandis que Palmyre, enhardie, mettait à les nettoyer un soin extrême, puis en gavait Hilarion comme une volaille. Quant aux enfants, ils " faisaient du boudin ". La Trouille piquait la châtaigne avec une dent, puis la pressait pour en tirer un jet mince, que Delphin et Nénesse léchaient ensuite. C'était très bon. Lise et Françoise se décidèrent à en faire aussi. On moucha la chandelle une dernière fois, on trinqua à la bonne amitié de tous les assistants. La chaleur avait augmenté, une vapeur rousse montait du purin de la litière, le grillon chantait plus fort, dans les grandes ombres mouvantes des poutres ; et, pour que les vaches fussent du régal, on leur donnait les cosses, qu'elles broyaient d'un gros bruit régulier et doux.

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