La Terre

La Terre (paragraphe n°674)

Chapitre I

Ah ! cette terre, comme il avait fini par l'aimer ! et d'une passion où il n'entrait pas que l'âpre avarice du paysan, d'une passion sentimentale, intellectuellepresque, car il la sentait la mère commune, qui lui avait donné sa vie, sa substance, et où il retournerait. D'abord, tout jeune, élevé en elle, sa haine du collège, son désir de brûler ses livres n'étaient venus que de son habitude de la liberté, des belles galopades à travers les labours, des griseries de grand air, aux quatre vents de la plaine. Plus tard, quand il avait succédé à son père, il l'avait aimée en amoureux, son amour s'était mûri, comme s'il l'eût prise dès lors en légitime mariage, pour la féconder. Et cette tendresse ne faisait que grandir, à mesure qu'il lui donnait son temps, son argent, sa vie entière, ainsi qu'à une femme bonne et fertile, dont il excusait les caprices, même les trahisons. Il s'emportait bien des fois, lorsqu'elle se montrait mauvaise, lorsque, trop sèche ou trop humide, elle mangeait les semences, sans rendre des moissons ; puis, il doutait, il en arrivait à s'accuser de mâle impuissant ou maladroit : la faute en devait être à lui, s'il ne lui avait pas fait un enfant. C'était depuis cette époque que les nouvelles méthodes le hantaient, le lançaient dans les innovations, avec le regret d'avoir été un cancre au collège, et de n'avoir pas suivi les cours d'une de ces écoles de culture, dont son père et lui se moquaient. Que de tentatives inutiles, d'expériences manquées, et les machines que ses serviteurs détraquaient, et les engrais chimiques que fraudait le commerce ! Il y avait englouti sa fortune, la Borderie lui rapportait à peine de quoi manger du pain, en attendant que la crise agricole l'achevât. N'importe ! il resterait le prisonnier de sa terre, il y enterrerait ses os, après l'avoir gardée pour femme, jusqu'au bout.

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