La Terre
La Terre (paragraphe n°822)
Chapitre III
Tout de suite, Jean avait eu l'idée de pousser ses affaires, auprès de Lise, en se déclarant. Une aventure l'en empêcha. L'écurie était sans doute mal fermée, soudain l'on aperçut l'âne, Gédéon, au milieu du potager, tondant gaillardement un plant de carottes. Du reste, cet âne, un gros âne, vigoureux, de couleur rousse, la grande croix grise sur l'échine, était un animal farceur, plein de malignité : il soulevait très bien les loquets avec sa bouche, il entrait chercher du pain dans la cuisine ; et, à la façon dont il remuait ses longues oreilles, quand on lui reprochait ses vices, on sentait qu'il comprenait. Dès qu'il se vit découvert, il prit un air indifférent et bonhomme ; ensuite, menacé de la voix, chassé du geste, il fila ; mais, au lieu de retourner dans la cour, il trotta par les allées, jusqu'au fond du jardin. Alors, ce fut une vraie poursuite ; et, lorsque Françoise l'eut enfin saisi, il se ramassa, rentra le cou et les jambes dans son corps, pour peser plus lourd et avancer moins vite. Rien n'y faisait, ni les coups de pied, ni les douceurs. Il fallut que Jean s'en mêlât, le bousculât par derrière de ses bras d'homme ; car, depuis qu'il était commandé par deux femmes, Gédéon avait conçu d'elles le plus complet mépris. Jules s'était réveillé au bruit, et hurlait. L'occasion était perdue, le jeune homme dut partir ce jour-là, sans avoir parlé.