La Terre

La Terre (paragraphe n°825)

Chapitre III

Jean patienta, espérant qu'elle s'en irait. Elle ne partait pas, parlait de son pauvre homme, le paralytique,qui ne remuait plus qu'une main. C'était une grande affliction. Jamais ils n'avaient été riches ; seulement, lorsque lui travaillait encore, il louait des terres qu'il faisait valoir ; tandis que, maintenant, elle avait bien de la peine à cultiver toute seule l'arpent qui leur appartenait ; et elle s'éreintait, ramassait le crottin des routes pour le fumer, n'ayant pas de bestiaux, soignait ses salades, ses haricots, ses pois, pied à pied, arrosait jusqu'à ses trois pruniers et ses deux abricotiers, finissait par tirer un profit considérable de cet arpent, si bien que, chaque samedi, elle s'en allait au marché de Cloyes, pliant sous la charge de deux paniers énormes, sans compter les gros légumes, qu'un voisin lui emportait dans sa carriole. Rarement elle en revenait sans deux ou trois pièces de cent sous, surtout à la saison des fruits. Mais sa continuelle doléance était le manque de fumier : ni le crottin, ni les balayages des quelques lapins et des quelques poules qu'elle élevait, ne lui donnaient assez. Elle en était venue à se servir de tout ce que son vieux et elle faisaient, de cet engrais humain si méprisé, qui soulève le dégoût, même dans les campagnes. On l'avait su, on l'en plaisantait, on l'appelait la mère Caca, et ce surnom lui nuisait, au marché. Des bourgeoises s'étaient détournées de ses carottes et de ses choux superbes, avec des nausées de répugnance. Malgré sa grande douceur, cela la jetait hors d'elle.

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