Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°1107)

Chapitre IX

Le lendemain, Pascal et Clotilde prirent le train de trois heures, pour se rendre aux Tulettes. La mère de Charles, la bourrelière, leur avait amené le petit, puisqu'ils voulaient bien se charger de le conduire à l'oncle, chez lequel il devait rester toute la semaine. De nouvelles disputes avaient troublé le ménage : le mari refusait, décidément, de tolérer davantage chez lui cet enfant d'un autre, ce fils de prince, fainéant et imbécile. Comme c'était la grand-mère Rougon qui l'habillait, il était en effet, ce jour-là, tout vêtu encore de velours noir, soutaché d'une ganse d'or, tel qu'un jeune seigneur, un page d'autrefois, allant à la cour. Et, pendant le quart d'heure que dura le voyage, dans le compartiment où ils étaient seuls, Clotilde s'amusa à lui enlever sa toque, pour lustrer ses admirables cheveux blonds, sa royale chevelure dont les boucles lui tombaient sur les épaules. Mais elle portait une bague, et lui ayant passé la main sur la nuque, elle resta saisie de voir que sa caresse laissait une trace sanglante. On ne pouvait le toucher, sans que larosée rouge perlât à sa peau : c'était un relâchement des tissus, si aggravé par la dégénérescence, que le moindre froissement déterminait une hémorragie. Tout de suite, le docteur s'inquiéta, lui demanda s'il saignait toujours aussi souvent du nez. Et Charles sut à peine répondre, dit non d'abord, puis se rappela, dit qu'il avait beaucoup saigné, l'autre jour. Il semblait en effet plus faible, il retournait à l'enfance, à mesure qu'il avançait en âge, d'une intelligence qui ne s'était jamais éveillée et qui s'obscurcissait. Ce grand garçon de quinze ans ne paraissait pas en avoir dix, si beau, si petite fille, avec son teint de fleur née à l'ombre. Très attendrie, le cœur chagrin, Clotilde, qui l'avait gardé sur ses genoux, le remit sur la banquette, lorsqu'elle s'aperçut qu'il essayait de glisser la main par l'échancrure de son corsage, dans une poussée précoce et instinctive de petit animal vicieux.

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