Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°1722)

Chapitre XIII

Toute la nuit, une pluie diluvienne avait fouetté les vitres du train, par les plaines de la Bourgogne. Ce déluge ne cessa qu'à Mâcon. Après Lyon, le jour parut. Clotilde avait sur elle les lettres de Pascal ; et elle attendait l'aube avec impatience, pour revoir et étudier ces lettres, dont l'écriture lui avait paru changée. En effet, elle eut un petit froid au cœur, en constatant l'hésitation, les sortes de lézardes qui s'étaient produites dans les mots. Il était malade, très malade : cela, maintenant, tournait à la certitude, s'imposait à elle par une véritable divination, où il entrait moins de raisonnement que de subtile prescience. Et le reste du voyage fut horriblement long, car elle sentait croître son angoisse à mesure qu'elle approchait. Le pis était que, débarquant à Marseille dès midi et demi, elle ne pouvait prendre un train pour Plassans qu'à trois heures vingt. Trois grandes heuresd'attente. Elle déjeuna au buffet de la gare, mangea fiévreusement, comme si elle avait eu peur de manquer ce train ; puis, elle se traîna dans le jardin poussiéreux, alla d'un banc à un autre, sous le soleil pâle, tiède encore, au milieu de l'encombrement des omnibus et des fiacres. Enfin, elle roula de nouveau, arrêtée tous les quarts d'heure aux petites stations. Elle allongeait la tête à la portière, il lui semblait qu'elle était partie depuis plus de vingt ans et que les lieux devaient être changés. Le train quittait Sainte-Marthe, lorsqu'elle eut la forte émotion, en allongeant le cou, d'apercevoir, à l'horizon, très loin, la Souleiade, avec les deux cyprès centenaires de la terrasse, qu'on reconnaissait de trois lieues.

?>