Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°1887)

Chapitre XIV

Cependant, à cette minute même, elle comprit que la chimérique n'était pas morte tout entière en elle. Un léger bruit venait de voler dans le profond silence, et elle avait levé la tête : quel était le médiateur divin qui passait ? peut-être le cher mort qu'elle pleurait et qu'elle croyait deviner à son entour. Toujours, elle devait rester un peu l'enfant croyante d'autrefois, curieuse du mystère, ayant le besoin instinctif de l'inconnu. Elle avait fait la part de ce besoin, elle l'expliquait même scientifiquement. Si loin que la science recule les bornes des connaissances humaines, il est un point sans doute qu'elle ne franchira pas ; et c'était là, précisément, que Pascal plaçait l'unique intérêt à vivre, dans le désir qu'on avait de savoir sans cesse davantage. Elle, dès lors, admettait les forces ignorées où le monde baigne, un immense domaine obscur, dix fois plus large que le domaine conquis déjà, un infini inexploré à travers lequel l'humanité future monterait sans fin. Certes, c'était là un champ assez vaste, pour que l'imagination pût s'y perdre. Aux heures de songerie, elle y contentait la soif impérieuse que l'être semble avoir de l'au-delà, une nécessité d'échapper aumonde visible, de contenter l'illusion de l'absolue justice et du bonheur à venir. Ce qui lui restait de son tourment de jadis, ses envolées dernières s'y apaisaient, puisque l'humanité souffrante ne peut vivre sans la consolation du mensonge. Mais tout se fondait heureusement en elle. A ce tournant d'une époque surmenée de science, inquiète des ruines qu'elle avait faites, prise d'effroi devant le siècle nouveau, avec l'envie affolée de ne pas aller plus loin et de se rejeter en arrière, elle était l'heureux équilibre, la passion du vrai élargie par le souci de l'inconnu. Si les savants sectaires fermaient l'horizon pour s'en tenir strictement aux phénomènes, il lui était permis, à elle, bonne créature simple, de faire la part de ce qu'elle ne savait pas, de ce qu'elle ne saurait jamais. Et, si le credo de Pascal était la conclusion logique de toute l'œuvre, l'éternelle question de l'au-delà qu'elle continuait quand même à poser au ciel rouvrait la porte de l'infini, devant l'humanité en marche. Puisque toujours il faudra apprendre, en se résignant à ne jamais tout connaître, n'était-ce pas vouloir le mouvement, la vie elle-même, que de réserver le mystère, un éternel doute et un éternel espoir ?

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