Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°564)

Chapitre IV

Dès lors, ce fut la guerre sans merci. Pascal se sentit épié, traqué, menacé. Il n'était plus chez lui, il n'avait plus de maison : L'ennemie était là sans cesse, qui le forçait à tout craindre, à tout enfermer. Coup sur coup, deux fiolesde la substance nerveuse qu'il fabriquait, furent ramassées en morceaux ; et il dut se barricader dans sa chambre, on l'y entendait assourdir le bruit de son pilon, sans qu'il se montrât même aux heures des repas. Il n'emmenait plus Clotilde, les jours de visite, parce qu'elle décourageait les malades, par son attitude d'incrédulité agressive. Seulement, dès qu'il sortait, il n'avait qu'une hâte, celle de rentrer vite, car il tremblait de trouver ses serrures forcées, ses tiroirs saccagés, au retour. Il n'utilisait plus la jeune fille à classer, à recopier ses notes, depuis que plusieurs s'en étaient allées, comme emportées par le vent. Il n'osait même plus l'employer à corriger ses épreuves, ayant constaté qu'elle avait coupé tout un passage dans un article, dont l'idée blessait sa foi catholique. Et elle restait ainsi oisive, rôdant par les pièces ayant le loisir de vivre à l'affût d'une occasion qui lui livrerait la clef de la grande armoire. Ce devait être son rêve, le plan qu'elle roulait, pendant ses longs silences, les yeux luisants, les mains fiévreuses : avoir la clef, ouvrir, tout prendre, tout détruire, dans un autodafé qui serait agréable à Dieu. Les quelques pages d'un manuscrit, oubliées par lui sur un coin de table, le temps d'aller se laver les mains et passer sa redingote, avaient disparu, ne laissant, au fond de la cheminée, qu'une pincée de cendre. Un soir qu'il s'était attardé près d'un malade, comme il revenait au crépuscule, une terreur folle l'avait pris, dès le faubourg, à la vue d'une grosse fumée noire qui montait en tourbillons, salissant le ciel pâle. N'était-ce pas la Souleiade entière qui flambait, allumée par le feu de joie de ses papiers ? Il rentra au pas de course, il ne se rassura qu'en apercevant, dans un champ voisin, un feu de racines qui fumait avec lenteur.

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