Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°721)

Chapitre VI

Dès ce jour, Pascal fut possédé. L'état d'épuisement nerveux, où le surmenage et le chagrin l'avaient réduit, le livrait, sans résistance possible, à cette hantise de la folie et de la mort. Toutes les sensations morbides qu'il éprouvait, la fatigue immense à son lever, les bourdonnements, les éblouissements, jusqu'à ses mauvaises digestions et à ses crises de larmes, s'ajoutaient, une à une, comme des preuves certaines du détraquement prochain dont il se croyait menacé. Il avait complètement perdu, pour lui-même, son diagnostic si délicat de médecin observateur ; et, s'il continuait à raisonner, c'était pour tout confondre et tout pervertir, sous la dépression morale et physique où il se traînait. Il ne s'appartenait plus, il était comme fou, à se convaincre, heure par heure, qu'il devait le devenir.Les journées entières de ce pâle décembre furent employées par lui à s'enfoncer davantage dans son mal. Chaque matin, il voulait échapper à la hantise ; mais il revenait quand même s'enfermer au fond de la salle, il y reprenait l'écheveau embrouillé de la veille. La longue étude qu'il avait faite de l'hérédité, ses recherches considérables, ses travaux, achevaient de l'empoisonner, lui fournissaient des causes sans cesse renaissantes, d'inquiétude. A la continuelle question qu'il se posait sur son cas héréditaire, les dossiers étaient là qui répondaient par toutes les combinaisons possibles. Elles se présentaient si nombreuses, qu'il s'y perdait maintenant. S'il s'était trompé, s'il ne pouvait se mettre à part, comme un cas remarquable d'innéité, devait-il se ranger dans l'hérédité, en retour, sautant une, deux ou même trois générations ? Son cas était-il plus simplement une manifestation de l'hérédité larvée, ce qui apportait une preuve nouvelle à l'appui de sa théorie du plasma germinatif ? ou bien ne fallait-il voir là que la singularité des ressemblances successives, la brusque apparition d'un ancêtre inconnu, au déclin de sa vie ? Dès ce moment, il n'eut plus de repos, lancé à la trouvaille de son cas, fouillant ses notes, relisant ses livres. Et il s'analysait, épiait la moindre de ses sensations, pour en tirer des faits, sur lesquels il pût se juger. Les jours où son intelligence était plus paresseuse, où il croyait éprouver des phénomènes de vision particuliers, il inclinait à une prédominance de la lésion nerveuse originelle ; tandis que, s'il pensait être pris par les jambes, les pieds lourds et douloureux, il s'imaginait subir l'influence indirecte, de quelque ascendant venu du dehors. Tout s'emmêlait, il arrivait à ne plus se reconnaître, au milieu des troublesimaginaires qui secouaient son organisme éperdu. Et, chaque soir, la conclusion était la même, le même glas sonnait dans son crâne : l'hérédité, l'effrayante hérédité, la peur de devenir fou.

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