Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°286)

Chapitre V

Dans cette aventure, le pis, vraiment, fut qu'Angélique bientôt désespéra de sa charité. Ce garçon lui gâtait la joie d'être bonne. Auparavant, il avait peut-être d'autres pauvres, mais pas ceux-là, car il ne lesvisitait point ; et il avait dû la guetter, monter derrière elle, pour les connaître et les lui prendre ainsi, l'un après l'autre. Maintenant, chaque fois qu'elle arrivait chez les Chouteau, avec un petit panier de provisions, il y avait des pièces blanches sur la table. Un jour qu'elle courait porter dix sous, ses économies de toute la semaine, au père Mascart, qui pleurait sans cesse misère pour son tabac, elle le trouva riche d'une pièce de vingt francs, luisante comme un soleil. Même, un soir qu'elle rendait visite à la mère Gabet, celle-ci la pria de descendre lui changer un billet de banque. Et quel crève-cœur de constater son impuissance, elle qui manquait d'argent, lorsque lui, si aisément, vidait sa bourse ! Certes, elle était heureuse de l'aubaine, pour ses pauvres ; mais elle n'avait plus de bonheur à donner, triste de donner si peu, lorsqu'un autre donnait tant. Le maladroit, ne comprenant pas, croyant la conquérir, cédait à un besoin de largesses attendri, lui tuait ses aumônes. Sans compter qu'elle devait subir ses éloges, chez tous les misérables : un jeune homme si bon, si doux, si bien élevé ! Ils ne parlaient plus que de lui, ils étalaient ses dons comme pour mépriser les siens. Malgré son serment de l'oublier, elle les questionnait sur son compte : qu'avait-il laissé, qu'avait-il dit ? et il était beau, n'est-ce pas ? et tendre, et timide ! Peut-être osait-il parler d'elle ? Ah ! bien sûr, il en parlait toujours ! Alors, elle l'exécrait décidément, car elle finissait par en avoir trop lourd sur le cœur.

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