Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°392)

Chapitre VI

Dans cinq jours, la mitre devait être livrée ; et Angélique, certaine d'avoir fini, de gagner même vingt-quatre heures, respira, s'étonna de trouver Félicien si près d'elle, accoudé au tréteau. Ils étaient donc camarades ? Elle ne se défendait plus contre ce qu'elle sentait de conquérant en lui, elle ne souriait plus de malice, à tout ce qu'il cachait et qu'elle devinait. Qu'était-ce donc qui l'avait endormie, dans son attente inquiète ? Et l'éternelle question revint, la question qu'elle se posait chaque soir, à son coucher : l'aimait-elle ? Pendant des heures, au fond de son grand lit, elle avait retourné les mots, cherchant des sens qui lui échappaient. Brusquement, cette nuit-là, elle sentit son cœur se fendre, elle fondit en larmes, la tête dans l'oreiller, pour qu'on ne l'entendît point. Elle l'aimait, elle l'aimait, à en mourir. Pourquoi ? comment ? elle n'en savait, elle n'en saurait jamais rien ; mais ellel'aimait, tout son être le criait. La clarté s'était faite, l'amour éclatait comme la lumière du soleil. Elle pleura longtemps, pleine d'une confusion et d'un bonheur inexprimables, reprise du regret de ne s'être pas confiée à Hubertine. Son secret l'étouffait, et elle fit un grand serment, celui de redevenir de glace pour Félicien, de souffrir tout plutôt que de lui laisser voir sa tendresse. L'aimer, l'aimer sans le dire, c'était la punition, l'épreuve qui devait racheter la faute. Elle en souffrait délicieusement, elle songeait aux martyres de la Légende, il lui semblait quelle était leur sœur, à se flageller ainsi, et que sa gardienne Agnès la regardait avec des yeux tristes et doux.

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