Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°738)

Chapitre X

Le bon abbé Cornille en avait parlé à Hubertine, tout bas, les mains tremblantes. Des bruits mystérieuxcouraient, on chuchotait que Monseigneur s'enfermait dès le crépuscule ; et c'étaient des nuits de combat, des larmes, des plaintes, dont la violence, étouffée par les tentures, effrayait l'Evêché. Il avait cru oublier, dompter la passion ; mais elle renaissait avec un emportement de tempête, dans le terrible homme qu'il était jadis, l'homme d'aventure, le descendant des capitaines légendaires. Chaque soir, à genoux, la peau écorchée d'un cilice, il s'efforçait de chasser le fantôme de la femme regrettée, il évoquait du cercueil la poussière qu'elle devait être maintenant. Et c'était vivante qu'elle se levait, en sa fraîcheur délicieuse de fleur, telle qu'il l'avait aimée toute jeune, d'un amour fou d'homme déjà mûr. La torture recommençait, saignante comme au lendemain de sa mort ; il la pleurait, il la désirait, avec la même révolte contre Dieu, qui la lui avait prise ; il ne se calmait qu'au petit jour, épuisé, dans le mépris de lui-même et le dégoût du monde. Ah ! la passion, la bête mauvaise, qu'il aurait voulu écraser, pour retomber à la paix anéantie de l'amour divin !

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