Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°739)

Chapitre X

Monseigneur, quand il sortait de sa chambre, retrouvait son attitude sévère, sa face calme et hautaine, à peine blêmie d'un reste de pâleur. Le matin où Félicien s'était confessé, il l'avait écouté, sans une parole, en se domptant d'un tel effort, que pas une fibre de sa chair ne tressaillait. Il le regardait, le cœur bouleversé de le voir si jeune, si beau, si ardent, de se revoir, dans cette folie de l'amour. Ce n'était plus de la rancune, c'était l'absolue volonté, le devoir rude de le soustraire au mal dont lui-même souffrait tant. Il tuerait la passion dans son fils, comme il voulait la tuer en lui. Cette histoire romanesqueachevait de l'angoisser. Quoi ! une fille pauvre, une fille sans nom, une petite brodeuse aperçue sous un rayon de lune, transfigurée en vierge mince de la Légende, adorée dans le rêve ! Et il avait fini par répondre d'un seul mot : Jamais ! Félicien s'était jeté à ses genoux, l'implorant, plaidant sa cause, celle d'Angélique. Jusque-là, il ne l'avait approché qu'en tremblant, il le suppliait de ne pas s'opposer à son bonheur, sans même oser encore lever les yeux sur sa personne sainte. La voix soumise, il offrait de disparaître, d'emmener sa femme si loin qu'on ne les reverrait pas, d'abandonner à l'Eglise sa grande fortune. Il ne voulait qu'être aimé et aimer, inconnu. Un frisson, alors, avait secoué Monseigneur. Sa parole était engagée aux Voincourt, jamais il ne la reprendrait. Et Félicien, à bout de force, se sentant envahir d'une rage, s'en était allé, dans la crainte du flot de sang dont ses joues s'empourpraient, et qui le jetait au sacrilège d'une révolte ouverte.

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