Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°76)

Chapitre II

A ces lectures, Angélique s'émerveillait. Tant d'abominations et cette joie triomphale la ravissaient d'aise, au-dessus du réel. Mais d'autres coins de la Légende, plus doux, l'amusaient aussi, les bêtes par exemple, toute l'arche qui s'y agite. Elle s'intéressait auxcorbeaux et aux aigles chargés de nourrir les ermites. Puis, que de belles histoires sur les lions ! le lion serviable qui creuse la fosse de Marie l'Egyptienne ; le lion flamboyant qui garde la porte des vilaines maisons, lorsque les proconsuls y font conduire les vierges ; et encore le lion de Jérôme, à qui l'on a confié un âne, qui le laisse voler, puis qui le ramène. Il y avait aussi le loup, frappé de contrition rapportant un pourceau dérobé. Bernard excommunie les mouches, lesquelles tombent mortes. Remi et Blaise nourrissent les oiseaux à leur table, les bénissent et leur rendent la santé. François, " plein de très grande simplesse columbine ", les prêche, les exhorte à aimer Dieu. " Ung oyseau qui se nomme cigale estoit en un figuier, et François tendit sa main et appella celluy oyseau, et tantost il obeyt et vint sur sa main. Et il luy deist : Chante, ma seur, et loue nostre Seigneur. Et adoncques chanta incontinent, et ne s'en alla devant quelle eust congé. " C'était là, pour Angélique, un continuel sujet de récréation qui lui donnait l'idée d'appeler les hirondelles, curieuse de voir si elles viendraient. Ensuite, il y avait des histoires qu'elle ne pouvait relire sans être malade, tant elle riait. Christophe, le bon géant, qui porta Jésus, l'égayait aux larmes. Elle étouffait, à la mésaventure du gouverneur avec les trois chambrières d'Anastasie, quand il va les trouver dans la cuisine et qu'il baise les poêles et les chaudrons, en croyant les embrasser. " Il yssit dehors tresnoir et treslaid et les vestemens destrompus. Et quand les serviteurs qui lattendoient dehors le veirent ainsi attourné, si se penserent quil estoit tourné en dyable. Lors le battirent de verges et senfuyrent et le laissèrent tout seul. " Mais où le fou rire la prenait, c'était lorsqu'ontapait sur le diable, Julienne surtout, qui, tentée par lui dans son cachot, lui administra une si extraordinaire raclée avec sa chaîne. " Lors commanda le prevost que Julienne fust amenée, et quant elle yssit elle trainoit le dyable après elle, et il cria disant : Ma dame Julienne, ne me faictes plus de mal. Si le traina ainsi par tout le marché, et après le jecta en une tres orde fosse. " Ou encore elle répétait aux Hubert, en brodant, des légendes plus intéressantes que des contes de fées. Elle les avait lues tant de fois, qu'elle les savait par cœur : la légende des Sept Dormants, qui, fuyant la persécution, murés dans une caverne, y dormirent trois cent soixante-dix-sept ans, et dont le réveil étonna si fort l'empereur Théodose ; la légende de saint Clément, des aventures sans fin, imprévues et attendrissantes, toute une famille, le père, la mère, les trois fils, séparés par de grands malheurs et finalement réunis, à travers les plus beaux miracles. Ses pleurs coulaient, elle en rêvait la nuit, elle ne vivait plus que dans ce monde tragique et triomphant du prodige, au pays surnaturel de toutes les vertus, récompensées de toutes les joies.

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