Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°813)

Chapitre XI

D'abord, elle fit appel à son orgueil : tant mieux, s'il ne l'aimait plus ! car elle était trop fière pour l'aimer encore. Et elle se mentait à elle-même, elle affectait d'être délivrée, de chantonner d'insouciance, pendant qu'elle brodait les armoiries des Hautecœur, auxquelles elles'était mise. Mais son cœur se gonflait à l'étouffer, elle avait la honte de s'avouer qu'elle était assez lâche pour l'aimer toujours, l'aimer davantage. Durant une semaine, les armoiries, en naissant fil à fil sous ses doigts, l'emplirent d'un affreux chagrin. Ecartelé, un et quatre, deux et trois, de Jérusalem et d'Hautecœur ; de Jérusalem, qui est d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes de même ; Hautecœur, qui est d'azur à la forteresse d'or, avec un écusson de sable au cœur d'argent en abîme, le tout accompagné de trois fleurs de lis d'or, deux en chef, une en pointe. Les émaux étaient faits de cordonnet, les métaux, de fil d'or et d'argent. Quelle misère de sentir trembler sa main, de baisser la tête pour cacher ses yeux, que le flamboiement de ces armoiries aveuglait de larmes ! Elle ne songeait qu'à lui, elle l'adorait dans l'éclat de sa noblesse légendaire. Et, lorsqu'elle broda la devise : Si Dieu veut, je veux, en soie noire sur une banderole d'argent, elle comprit bien qu'elle était son esclave, que jamais plus elle ne se reprendrait : ses pleurs l'empêchaient de voir, tandis que, machinalement, elle continuait à piquer l'aiguille.

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