Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°96)

Chapitre III

L'atelier, dont les fenêtres donnaient sur le jardin, était une vaste pièce, conservée presque intacte dans son état primitif. Au plafond, les deux maîtresses poutres, les trois travées de solives apparentes n'avaient pas même reçu de badigeon, très enfumées, mangées des vers, laissant voir les lattes des entrevous sous les éclats du plâtre. Un des corbeaux de pierre qui soutenaient les poutres portait une date, 1463, sans doute la date de la construction. La cheminée, également en pierre, émiettéeet disjointe, gardait son élégance simple, avec ses montants élancés, ses consoles, sa hotte terminée par un couronnement ; même, sur la frise, on pouvait distinguer encore, comme fondue par l'âge, une sculpture naïve, un saint Clair, patron des brodeurs. Mais la cheminée ne servait plus, on avait fait de l'âtre une armoire ouverte, en y posant des planches, où s'empilaient des dessins ; et c'était maintenant un poêle qui chauffait la pièce, une grosse cloche de fonte, dont le tuyau, après avoir longé le plafond, allait crever la hotte. Les portes, déjà branlantes, dataient de Louis XIV. Des lames de l'ancien parquet achevaient de se pourrir, parmi les feuillets plus récents, remis un à un, à chaque trou. Il y avait près de cent ans que la peinture jaune des murs tenait, déteinte en haut, éraillée dans le bas, tachée de salpêtre. Toutes les années, on parlait de faire repeindre, sans pouvoir s'y décider, par haine du changement.

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