Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°968)

Chapitre XIII

Lorsqu'il fut seul, Monseigneur, comme frappé d'un couteau en pleine poitrine, tourna sur lui-même et s'abattit, les deux genoux sur le prie-Dieu. Un râle affreux sortait de sa gorge. Ah ! les misères du cœur, les invincibles faiblesses de la chair ! Cette femme, cette morte toujours ressuscitée, il l'adorait ainsi qu'au premier soir, quand il avait baisé ses pieds blancs ; et ce fils, il l'adorait comme une dépendance d'elle-même, un peu de sa vie qu'elle lui avait laissé ; et cette jeune fille, cette petite ouvrière qu'il repoussait, il l'adorait aussi, de l'adoration que son fils avait pour elle. Maintenant, tous les trois désespéraient ses nuits. Sans qu'il se l'avouât, elle l'avait touché dans la cathédrale, la petite brodeuse, si simple, avec ses cheveux d'or, sa nuque fraîche, sentant bon la jeunesse. Il la revoyait, elle passait délicate, pure, d'une soumission irrésistible. Un remords ne serait pas entré en lui, d'une marche plus certaine, ni plus conquérante. Il pouvait la rejeter à voix haute, il savait bien désormais qu'elle lui tenait le cœur, de ses humbles mains, abîmées par l'aiguille. Pendant que Félicien lesuppliait violemment, il les avait aperçues, derrière sa tête blonde, les deux femmes adorées, celle que lui pleurait, celle qui se mourait pour son enfant. Et, ravagé, sanglotant, ne sachant où retrouver le calme, il demandait au ciel de lui donner le courage de s'arracher le cœur, puisque ce cœur n'était plus à Dieu.

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