Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°1244)

Chapitre V

Ensuite, il plaisanta, disant que la politique ne le gênait pas, qu'il avait fini par s'y accoutumer, dans les brasseries et dans les ateliers. A ce propos, il paria d'un café de la rue Vauvilliers, le café qui se trouvait au rez-de-chaussée de la maison habitée par la Sarriette. Cette salle fumeuse, aux banquettes de velours éraillé, aux tables de marbre jaunies par les bavures des glorias, étaitle lieu de réunion habituel de la belle jeunesse des Halles. Là, monsieur Jules régnait sur une bande de porteurs, de garçons de boutique, de messieurs à blouses blanches, à casquettes de velours. Lui, portait, à la naissance des favoris, deux mèches de poils collées contre les joues en accroche-cœur. Chaque samedi, il se faisait arrondir les cheveux au rasoir, pour avoir le cou blanc, chez un coiffeur de la rue des Deux-Ecus, où il était abonné au mois. Aussi donnait-il le ton à ces messieurs, lorsqu'il jouait au billard, avec des grâces étudiées, développant ses hanches, arrondissant les bras et les jambes, se couchant à demi sur le tapis, dans une pose cambrée qui donnait à ses reins toute leur valeur. La partie finie, on causait. La bande était très réactionnaire, très mondaine. Monsieur Jules lisait les journaux aimables. Il connaissait le personnel des petits théâtres, tutoyait les célébrités du jour, savait la chute ou le succès de la pièce jouée la veille. Mais il avait un faible pour la politique. Son idéal était Morny, comme il le nommait tout court. Il lisait les séances du Corps législatif, en riant d'aise aux moindres mots de Morny. C'était Morny qui se moquait de ces gueux de républicains ! Et il partait de là pour dire que la crapule seule détestait l'empereur, parce que l'empereur voulait le plaisir de tous les gens comme il faut.

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