Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°1344)

Chapitre VI

Un matin, au petit jour, Florent alla rôder autour du Palais-Bourbon. Il y oublia sa besogne d'inspecteur, resta à examiner les lieux jusqu'à huit heures, sans songer seulement que son absence devait révolutionner le pavillon de la marée. Il visita chaque rue, la rue de Lille, la rue de l'Université, la rue de Bourgogne, la rue Saint-Dominique ; il poussa jusqu'à l'esplanade des Invalides, s'arrêtant à certains carrefours, mesurant les distances en marchant à grandes enjambées. Puis, de retour sur le quai d'Orsay, assis sur le parapet, il décida que l'attaque serait donnée de tous les côtés à la fois : les bandes du Gros-Caillou arriveraient par le Champ-de-Mars ; les sections du nord de Paris descendraient par la Madeleine ; celles de l'ouest et du sud suivraient les quais ou s'engageraient par petits groupes dans les rues du faubourg Saint-Germain. Mais, sur l'autre rive, les Champs-Elysées l'inquiétaient, avec leurs avenues découvertes ; ilprévoyait qu'on mettrait là du canon pour balayer les quais. Alors, il modifia plusieurs détails du plan, marquant la place de combat des sections, sur un carnet qu'il tenait à la main. La véritable attaque aurait décidément lieu par la rue de Bourgogne et la rue de l'université, tandis qu'une diversion serait faite du côté de la Seine. Le soleil de huit heures qui lui chauffait la nuque avait des gaietés blondes sur les larges trottoirs et dorait les colonnes du grand monument, en face de lui. Et il voyait déjà la bataille, des grappes d'hommes pendues à ces colonnes, les grilles crevées, le péristyle envahi, puis tout en haut, brusquement, des bras maigres qui plantaient un drapeau.

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