Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°264)

Chapitre II

Gavard, de son côté, cherchait une place pour Florent. Mais il cherchait d'une façon extraordinaire et tout à fait souterraine. Il aurait voulu trouver quelque emploi dramatique ou simplement d'une ironie amère, qui convînt à " un proscrit. " Gavard était un homme d'opposition. Il venait de dépasser la cinquantaine, et se vantait d'avoir déjà dit leur fait à quatre gouvernements. Charles X, les prêtres, les nobles, toute cette racaille qu'il avait flanquée à la porte, lui faisaient encore hausser les épaules ; Louis-Philippe était un imbécile, avec sesbourgeois, et il racontait l'histoire des bas de laine, dans lesquels le roi citoyen cachait ses gros sous ; quant à la république de 48, c'était une farce, les ouvriers l'avaient trompé ; mais il n'avouait plus qu'il avait applaudi au 2 Décembre, parce que, maintenant, il regardait Napoléon III comme son ennemi personnel, une canaille qui s'enfermait avec de Morny et les autres, pour faire des " gueuletons. " Sur ce chapitre, il ne tarissait pas ; il baissait un peu la voix, il affirmait que, tous les soirs, des voitures fermées amenaient des femmes aux Tuileries, et que lui, lui qui vous parlait, avait, une nuit, de la place du Carrousel, entendu le bruit de l'orgie. La religion de Gavard était d'être le plus désagréable possible au gouvernement. Il lui faisait des farces atroces, dont il riait en dessous pendant des mois. D'abord, il votait pour le candidat qui devait " embêter les ministres " au Corps législatif. Puis, s'il pouvait voler le fisc, mettre la police en déroute, amener quelque échauffourée, il travaillait à rendre l'aventure très insurrectionnelle. Il mentait, d'ailleurs, se posait en homme dangereux, parlait comme si la " séquelle des Tuileries " l'eût connu et eût tremblé devant lui, disait qu'il fallait guillotiner la moitié de ces gredins et déporter l'autre moitié " au prochain coup de chien. " Toute sa politique bavarde et violente se nourrissait de la sorte de hâbleries, de contes à dormir debout, de ce besoin goguenard de tapage et de drôleries qui pousse un boutiquier parisien à ouvrir ses volets, un jour de barricades, pour voir les morts. Aussi, quand Florent revint de Cayenne, flaira-t-il un tour abominable, cherchant de quelle façon, particulièrement spirituelle, il allait pouvoir se moquer de l'empereur, du ministère, des hommes en place, jusqu'au dernier des sergents de ville.

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