Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°357)

Chapitre II

Une grande brune poussait la porte de la boutique. C'était la belle poissonnière, Louise Méhudin, dite la Normande. Elle avait une beauté hardie, très blanche et délicate de peau, presque aussi forte que Lisa, mais d'œil plus effronté et de poitrine plus vivante. Elle entra, cavalière, avec sa chaîne d'or sonnant sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la mode, son nœud de gorge, un nœud de dentelle qui faisait d'elle une des reines coquettes des Halles. Elle portait une vague odeur de marée ; et, sur une de ses mains, près du petit doigt, il y avait une écaille de hareng, qui mettait là une mouche de nacre. Les deux femmes, ayant habité la même maison, rue Pirouette, étaient des amies intimes, très liées par une pointe de rivalité qui les faisait s'occuper l'une de l'autre, continuellement. Dans le quartier, on disait la belle Normande, comme on disait la belle Lisa. Cela les opposait, les comparait, les forçait à soutenir chacune sa renommée de beauté. En se penchant un peu, la charcutière, de son comptoir, apercevait dans le pavillon, en face, la poissonnière, au milieu de ses saumons et de ses turbots. Elles se surveillaient toutes deux. La belle Lisa se serrait davantage dans ses corsets. La belle Normande ajoutait des bagues à ses doigts et des nœuds à ses épaules. Quand elles se rencontraient, elles étaienttrès douces, très complimenteuses, l'œil furtif sous la paupière à demi close, cherchant les défauts. Elles affectaient de se servir l'une chez l'autre et de s'aimer beaucoup.

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