Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°410)

Chapitre II

Ce même jour, le soir, après le dîner, Florent sortit, se promena quelque temps, sous une des rues couvertes des Halles. Un fin brouillard montait, les pavillons vides avaient une tristesse grise, piquée des larmes jaunes du gaz. Pour la première fois, Florent se sentait importun ; il avait conscience de la façon malapprise dont il était tombé au milieu de ce monde gras, en maigre naïf ; il s'avouait nettement qu'il dérangeait tout le quartier, qu'il devenait une gêne pour les Quenu, un cousin de contrebande, de mine par trop compromettante. Ces réflexions le rendaient fort triste, non pas qu'il eût remarqué chez son frère ou chez Lisa la moindre dureté ; il souffrait de leur bonté même ; il s'accusait de manquer de délicatesse en s'installant ainsi chez eux. Des doutes lui venaient. Le souvenir de la conversation dans la boutique, l'après-midi, lui causait un malaise vague. Il était comme envahi par cette odeur des viandes du comptoir, il se sentait glisser à une lâcheté molle et repue. Peut-être avait-il eu tort de refuser cette place d'inspecteur qu'on lui offrait. Cette pensée mettait en lui une grande lutte ; il fallait qu'il se secouât pour retrouver ses roideurs de conscience. Mais un vent humide s'était levé, soufflant sous la rue couverte. Il reprit quelque calme et quelque certitude, lorsqu'il fut obligé de boutonner sa redingote. Le vent emportait de ses vêtements cette senteur grasse de la charcuterie, dont il était tout alangui.

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