Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°480)

Chapitre II

Quand l'homme eut enterré son camarade dans le sable, reprit Florent lentement, il s'en alla seul, droit devant lui. La Guyane hollandaise, où il se trouvait, est un pays de forêts, coupé de fleuves et de marécages. L'homme marcha pendant plus de huit jours, sans rencontrer une habitation. Tout autour de lui, il sentait la mort qui l'attendait. Souvent, l'estomac tenaillé par la faim, il n'osait mordre aux fruits éclatants qui pendaientdes arbres ; il avait peur de ces baies aux reflets métalliques, dont les bosses noueuses suaient le poison. Pendant des journées entières, il marchait sous des voûtes de branches épaisses, sans apercevoir un coin de ciel, au milieu d'une ombre verdâtre, toute pleine d'une horreur vivante. De grands oiseaux s'envolaient sur sa tête, avec un bruit d'ailes terrible et des cris subits qui ressemblaient à des râles de mort ; des sauts de singes, des galops de bêtes traversaient les fourrés, devant lui, pliant les tiges, faisant tomber une pluie de feuilles, comme sous un coup de vent ; et c'était surtout les serpents qui le glaçaient, quand il posait le pied sur le sol mouvant de feuilles sèches, et qu'il voyait des têtes minces filer entre les enlacements monstrueux des racines. Certains coins, les coins d'ombre humide, grouillaient d'un pullulement de reptiles, noirs, jaunes, violacés, zébrés, tigrés, pareils à des herbes mortes, brusquement réveillées et fuyantes. Alors, il s'arrêtait, il cherchait une pierre pour sortir de cette terre molle où il enfonçait ; il restait là des heures, avec l'épouvante de quelque boa, entrevu au fond d'une clairière, la queue roulée, la tête droite, se balançant comme un tronc énorme, taché de plaques d'or. La nuit, il dormait sur les arbres, inquiété par le moindre frôlement, croyant entendre des écailles sans fin glisser dans les ténèbres. Il étouffait sous ces feuillages interminables ; l'ombre y prenait une chaleur renfermée de fournaise, une moiteur d'humidité, une sueur pestilentielle, chargée des arômes rudes des bois odorants et des fleurs puantes. Puis, lorsqu'il se dégageait enfin, lorsque, au bout de longues heures de marche, il revoyait le ciel, l'homme se trouvait en face de larges rivières qui lui barraient la route ; il les descendait, surveillant les échines grises des

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