Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°525)

Chapitre III

Le vacarme des voix devenait tel, que monsieur Verlaque renonça à ses explications. Sur le carreau, des hommes annonçaient les grands poissons, avec des cris prolongés qui semblaient sortir de porte-voix gigantesques ; un surtout qui hurlait : " La moule ! la moule ! " d'une clameur rauque et brisée, dont les toitures des Halles tremblaient. Les sacs de moules, renversés, coulaient dans des paniers ; on en vidait d'autres à la pelle. Les mannes défilaient, les raies, les soles, les maquereaux, les congres, les saumons, apportés et remportés par les compteurs-verseurs, au milieu des bredouillements qui redoublaient, et de l'écrasement des poissonnières qui faisaient craquer les barres de fer. Le crieur, le bossu, allumé, battant l'air de ses bras maigres, tendait les mâchoires en avant. A la fin, il monta sur un escabeau, fouetté par les chapelets de chiffres qu'il lançait à toute volée, la bouche tordue, les cheveux en coup de vent, n'arrachant plus à son gosier séché qu'un sifflement inintelligible. En haut, l'employé des perceptions municipales, un petit vieux tout emmitouflé dans un collet de faux astrakan, ne montrait que son nez, sous sa calotte de velours noir ; et la grande tabletière brune, sur sa haute chaise de bois, écrivait paisiblement, les yeux calmes dans sa face un peu rougie par le froid, sans seulement battre des paupières, aux bruits de crécelle du bossu, qui montaient le long de ses jupes.

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