Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°534)

Chapitre III

Cette première matinée le laissa très hésitant. Il regrettait d'avoir cédé à Lisa. Dès le lendemain, échappé à la somnolence grasse de la cuisine, il s'était accusé de lâcheté avec une violence qui avait presque mis des larmes dans ses yeux. Mais il n'osa revenir sur sa parole, Lisa l'effrayait un peu ; il voyait le pli de ses lèvres, le reproche muet de son beau visage. Il la traitait en femme trop sérieuse et trop satisfaite pour être contrariée. Gavard, heureusement, lui inspira une idée qui le consola. Il le prit à part, le soir même du jour où monsieur Verlaque l'avait promené au milieu des criées, lui expliquant, avec beaucoup de réticences, que " ce pauvre diable " n'était pas heureux. Puis, après d'autres considérations sur ce gredin de gouvernement qui tuait ses employés à la peine, sans leur assurer seulement de quoi mourir, il se décida à faire entendre qu'il serait charitable d'abandonner une partie des appointements à l'ancien inspecteur. Florent accueillit cette idée avec joie. C'était trop juste, il se considérait comme le remplaçant intérimaire de monsieur Verlaque ; d'ailleurs, lui, n'avait besoin de rien, puisqu'il couchait et qu'il mangeait chez son frère. Gavard ajouta que, sur les cent cinquante francs mensuels, un abandon de cinquante francs lui paraissait très joli, et, en baissant la voix, il fit remarquer que ça ne durerait pas longtemps, car le malheureux était vraiment poitrinaire jusqu'aux os. Il fut convenu que Florent verrait la femme, s'entendrait avec elle, pour ne pas blesser le mari. Cette bonne action le soulageait, il acceptait maintenant l'emploi avec une pensée dedévouement, il restait dans le rôle de toute sa vie. Seulement, il fit jurer au marchand de volailles de ne parler à personne de cet arrangement. Comme celui-ci avait aussi une vague terreur de Lisa, il garda le secret, chose très méritoire.

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