Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°579)

Chapitre III

Mais, le soir, un grand soulagement pour lui était encore de s'accouder à la fenêtre de sa mansarde. Cette fenêtre taillait dans le toit un étroit balcon, à haute rampe de fer, où Augustine soignait un grenadier en caisse. Florent, depuis que les nuits devenaient froides, faisaitcoucher le grenadier dans la chambre, au pied de son lit. Il restait là quelques minutes, aspirant fortement l'air frais qui lui venait de la Seine, par-dessus les maisons de la rue de Rivoli. En bas, confusément, les toitures des Halles étalaient leurs nappes grises. C'était comme des lacs endormis, au milieu desquels le reflet furtif de quelque vitre allumait la lueur argentée d'un flot. Au loin, les toits des pavillons de la boucherie et de la Vallée s'assombrissaient encore, n'étaient plus que des entassements de ténèbres reculant l'horizon. Il jouissait du grand morceau de ciel qu'il avait en face de lui, de cet immense développement des Halles, qui lui donnait, au milieu des rues étranglées de Paris, la vision vague d'un bord de mer, avec les eaux mortes et ardoisées d'une baie à peine frissonnantes du roulement lointain de la houle. Il s'oubliait, il rêvait chaque soir une côte nouvelle. Cela le rendait très triste et très heureux à la fois, de retourner dans ces huit années de désespoir qu'il avait passées hors de France. Puis, tout frissonnant, il refermait la fenêtre. Souvent, lorsqu'il ôtait son faux col devant la cheminée, la photographie d'Auguste et d'Augustine l'inquiétait ; ils le regardaient se déshabiller, de leur sourire blême, la main dans la main.

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