Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°581)

Chapitre III

Les Méhudin venaient de Rouen. La mère de Louise racontait encore comment elle était arrivée à Paris, avecdes anguilles dans un panier. Elle ne quitta plus la poissonnerie. Elle y épousa un employé de l'octroi, qui mourut en lui laissant deux petites filles. Ce fut elle, jadis, qui mérita, par ses larges hanches et sa fraîcheur superbe, ce surnom de la belle Normande, dont sa fille aînée avait hérité. Aujourd'hui, tassée, avachie, elle portait ses soixante-cinq ans en matrone dont la marée humide avait enroué la voix et bleui la peau. Elle était énorme de vie sédentaire, la taille débordante, la tête rejetée en arrière par la force de la gorge et le flot montant de la graisse. Jamais, d'ailleurs, elle ne voulut renoncer aux modes de son temps ; elle conserva la robe à ramages, le fichu jaune, la marmotte des poissonnières classiques, avec la voix haute, le geste prompt, les poings aux côtes, l'engueulade du catéchisme poissard coulant des lèvres. Elle regrettait le marché des Innocents, parlait des anciens droits des dames de la Halle, mêlait à des histoires de coups de poing échangés avec des inspecteurs de police des récits de visite à la cour, du temps de Charles X et de Louis-Philippe, en toilette de soie, et de gros bouquets à la main. La mère Méhudin, comme on la nommait, était longtemps restée porte-bannière de la confrérie de la Vierge, à Saint-Leu. Aux processions, dans l'église, elle avait une robe et un bonnet de tulle, à rubans de satin, tenant très haut, de ses doigts enflés, le bâton doré de l'étendard de soie à frange riche, où était brodée une Mère de Dieu.

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