Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°659)

Chapitre III

Florent, consterné, se prit d'un étrange intérêt pour ce gamin. La belle Normande restait pincée, laissait son enfant aller chez lui, sans dire un mot. Alors, il se crut autorisé à le recevoir ; il l'attira, l'après-midi, peu à peu conduit à l'idée d'en faire un petit bonhomme bien sage. Il lui semblait que son frère Quenu rapetissait, qu'ils se trouvaient encore tous les deux dans la grande chambre de la rue Royer-Collard. Sa joie, son rêve secret de dévouement, était de vivre toujours en compagnie d'un être jeune, qui ne grandirait pas, qu'il instruirait, sans cesse, dans l'innocence duquel il aimerait les hommes. Dès le troisième jour, il apporta un alphabet. Muche le ravit par son intelligence. Il apprit ses lettres avec la verve parisienne d'un enfant des rues. Les images de l'alphabet l'amusaient extraordinairement. Puis, dansl'étroit bureau, il prenait des récréations formidables, le poêle demeurait son grand ami, un sujet de plaisirs sans fin. Il y fit cuire d'abord des pommes de terre et des châtaignes ; mais cela lui parut fade. Il vola alors à la tante Claire des goujons qu'il mit rôtir un à un, au bout d'un fil, devant la bouche ardente ; il les mangeait avec délices, sans pain. Un jour même, il apporta une carpe ; elle ne voulut jamais cuire, elle empesta le bureau, au point qu'il fallut ouvrir porte et fenêtre. Florent, quand l'odeur de toute cette cuisine devenait trop forte, jetait les poissons à la rue. Le plus souvent, il riait. Muche, au bout de deux mois, commençait à lire couramment, et ses cahiers d'écriture étaient très propres.

?>