Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°767)

Chapitre III

Monsieur Lebigre, très rude pour les autres consommateurs, les laissait crier à leur aise, sans jamais leur faire la moindre observation. Il restait des heures sur la banquette du comptoir, en gilet à manches, sa grosse tête ensommeillée appuyée contre la glace, suivant du regard Rose qui débouchait des bouteilles ou qui donnait des coups de torchon. Les jours de belle humeur, quand elle était devant lui, plongeant des verres dans le bassin aux rinçures, les poignets nus, il la pinçait fortement au gras des jambes, sans qu'on pût le voir, ce qu'elle acceptait avec un sourire d'aise. Elle ne trahissait même pas cette familiarité par un sursaut ; lorsqu'il l'avait pincée au sang, elle disait qu'elle n'était pas chatouilleuse. Cependant, monsieur Lebigre, dans l'odeur de vin et le ruissellement de clartés chaudes qui l'assoupissaient, tendait l'oreille aux bruits du cabinet. Il se levait quandles voix montaient, allait s'adosser à la cloison ; ou même il poussait la porte, il entrait, s'asseyait un instant, en donnant une tape sur la cuisse de Gavard. Là, il approuvait tout de la tête. Le marchand de volailles disait que, si ce diable de Lebigre n'avait guère l'étoffe d'un orateur, on pouvait compter sur lui " le jour du grabuge. "

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