Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°855)

Chapitre IV

Marjolin allait avoir huit ans, et Cadine six, quand la mère Chantemesse leur fit honte de leur paresse. Elle leur dit qu'elle les associait à sa vente au petit tas ; elle leur promit un sou par jour, s'ils voulaient l'aider à éplucher ses légumes. Les premiers jours, les enfants eurent un beau zèle. Ils s'établissaient aux deux côtés de l'éventaire, avec des couteaux étroits, très attentifs à la besogne. La mère Chantemesse avait la spécialité des légumes épluchés ; elle tenait, sur sa table tendue d'un bout de lainage noir mouillé, des alignements de pommes de terre, de navets, de carottes, d'oignons blancs, rangés quatre par quatre, en pyramide, trois pour la base, un pour la pointe, tout prêts à être mis dans les casseroles des ménagères attardées. Elle avait aussi des paquets ficelés pour le pot-au-feu, quatre poireaux, trois carottes, un panais, deux navets, deux brins de céleri ; sans parler de la julienne fraîche coupée très fine sur des feuilles de papier, des choux taillés en quatre, des tas de tomates et des tranches de potiron qui mettaient des étoiles rouges et des croissants d'or dans la blancheur des autres légumeslavés à grande eau. Cadine se montra beaucoup plus habile que Marjolin, bien qu'elle fût plus jeune ; elle enlevait aux pommes de terre une pelure si mince, qu'on voyait le jour à travers ; elle ficelait les paquets pour le pot-au-feu d'une si gentille façon, qu'ils ressemblaient à des bouquets ; enfin, elle savait faire des petits tas qui paraissaient très gros, rien qu'avec trois carottes ou trois navets. Les passants s'arrêtaient en riant, quand elle criait de sa voix pointue de gamine :

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