Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°857)

Chapitre IV

Elle avait des pratiques, ses petits tas étaient très connus. La mère Chantemesse, assise entre les deux enfants, riait d'un rire intérieur, qui lui faisait monter la gorge au menton, à les voir si sérieux à la besogne. Elle leur donnait religieusement leur sou par jour. Mais les petits tas finirent par les ennuyer. Ils prenaient de l'âge, ils rêvaient des commerces plus lucratifs. Marjolin restait enfant très tard, ce qui impatientait Cadine. Il n'avait pas plus d'idée qu'un chou, disait-elle. Et, à la vérité, elle avait beau inventer pour lui des moyens de gagner de l'argent, il n'en gagnait point, il ne savait pas même faire une commission. Elle était très rouée. A huit ans, elle se fit enrôler par une de ces marchandes qui s'assoient sur un banc, autour des Halles, avec un panier de citrons, que toute une bande de gamines vendent sous leurs ordres ; elle offrait les citrons dans sa main, deux pour trois sous, courant après les passants, poussant sa marchandise sous le nez des femmes, retournant s'approvisionner, quand elle avait la main vide ; elle touchait deux sous par douzaine de citrons, ce qui mettait ses journées jusqu'àcinq et six sous, dans les bons temps. L'année suivante, elle plaça des bonnets à neuf sous ; le gain était plus fort ; seulement, il fallait avoir l'œil vif, car ces commerces en plein vent sont défendus ; elle flairait les sergents de ville à cent pas, les bonnets disparaissaient sous ses jupes, tandis qu'elle croquait une pomme, d'un air innocent. Puis, elle tint des gâteaux, des galettes, des tartes aux cerises, des croquets, des biscuits de maïs, épais et jaunes, sur des claies d'osier ; mais Marjolin lui mangea son fonds. Enfin, à onze ans, elle réalisa une grande idée qui la tourmentait depuis longtemps. Elle économisa quatre francs en deux mois, fit l'emplette d'une petite hotte, et se mit marchande de mouron.

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