Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°864)

Chapitre IV

Maintenant, la petite se levait à quatre heures, pour aider sa patronne dans ses achats. C'était, chaque matin, des brassées de fleurs achetées aux horticulteurs de la banlieue, des paquets de mousse, des paquets de feuilles de fougère et de pervenche, pour entourer les bouquets. Cadine restait émerveillée devant les brillants et les valenciennes que portaient les filles des grands jardiniers de Montreuil, venues au milieu de leurs roses. Les jours de sainte Marie, de saint Pierre, de saint Joseph, des saints patronymiques très fêtés, la vente commençait à deux heures ; il se vendait, sur le carreau, pour plus de cent mille francs de fleurs coupées ; des revendeuses gagnaient jusqu'à deux cents francs en quelques heures. Ces jours-là, Cadine ne montrait plus que les mèches frisées de ses cheveux au-dessus des bottes de pensées, de réséda, de marguerites ; elle était noyée, perdue sous les fleurs ; elle montait toute la journée des bouquets sur des brins de jonc. En quelques semaines, elle avait acquis de l'habileté et une grâce originale. Ses bouquets ne plaisaient pas à tout le monde ; ils faisaient sourire, et ils inquiétaient, par un côté de naïveté cruelle. Les rouges ydominaient, coupés de tons violents, de bleus, de jaunes, de violets, d'un charme barbare. Les matins où elle pinçait Marjolin, où elle le taquinait à le faire pleurer, elle avait des bouquets féroces, des bouquets de fille en colère, aux parfums rudes, aux couleurs irritées. D'autres matins, quand elle était attendrie par quelque peine ou par quelque joie, elle trouvait des bouquets d'un gris d'argent, très doux, voilés, d'une odeur discrète. Puis, c'étaient des roses, saignantes comme des cœurs ouverts, dans des lacs d'œillets blancs ; des glaïeuls fauves, montant en panaches de flammes parmi des verdures effarées ; des tapisseries de Smyrne, aux dessins compliqués, faites fleur à fleur, ainsi que sur un canevas ; des éventails moirés, s'élargissant avec des douceurs de dentelle ; des puretés adorables, des tailles épaissies, des rêves à mettre dans les mains des harengères ou des marquises, des maladresses de vierge et des ardeurs sensuelles de fille, toute la fantaisie exquise d'une gamine de douze ans, dans laquelle la femme s'éveillait.

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