Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°879)

Chapitre IV

Le peintre devint le grand ami des deux gamins. Il avait l'amour des belles brutes. Il rêva longtemps un tableau colossal, Cadine et Marjolin s'aimant au milieu des Halles centrales, dans les légumes, dans la marée, dans la viande. Il les aurait assis sur leur lit de nourriture, les bras à la taille, échangeant le baiser idyllique. Et il voyait là un manifeste artistique, le positivisme de l'art, l'art moderne tout expérimental et tout matérialiste ; il y voyait encore une satire de la peinture à idées, un soufflet donné aux vieilles écoles. Mais pendant près de deux ans, il recommença les esquisses, sans pouvoir trouver la note juste. Il creva une quinzaine de toiles. Il s'en garda une grande rancune, continuant à vivre avec ses deux modèles, par une sorte d'amour sans espoir pour son tableau manqué. Souvent l'après-midi, quand il les rencontrait rôdant, il battait le quartier des Halles, flânant, les mains au fond des poches, intéressé profondément par la vie des rues.

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