Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°887)

Chapitre IV

Marjolin était entré chez Gavard, heureux de n'avoir rien à faire qu'à écouter les histoires sans fin de sonpatron. Cadine vendait ses bouquets, habituée aux gronderies de la mère Chantemesse. Ils continuaient leur enfance, sans honte, allant à leurs appétits, avec des vices tout naïfs. Ils étaient les végétations de ce pavé gras du quartier des Halles, où même par les beaux temps, la boue reste noire et poissante. La fille à seize ans, le garçon à dix-huit, gardaient la belle impudence des bambins qui se retroussent au coin des bornes. Cependant, il poussait dans Cadine des rêveries inquiètes, lorsqu'elle marchait sur les trottoirs, tournant les queues des violettes comme des fuseaux. Et Marjolin, lui aussi, avait un malaise qu'il ne s'expliquait pas. Il quittait parfois la petite, s'échappait d'une flânerie, manquait un régal, pour aller voir madame Quenu, à travers les glaces de la charcuterie. Elle était si belle, si grosse, si ronde, qu'elle lui faisait du bien. Il éprouvait, devant elle, une plénitude, comme s'il eût mangé ou bu quelque chose de bon. Quand il s'en allait, il emportait une faim et une soif de la revoir. Cela durait depuis des mois. Il avait eu d'abord pour elle les regards respectueux qu'il donnait aux étalages des épiciers et des marchands de salaisons. Puis, lorsque vinrent les jours de grande maraude, il rêva, en la voyant, d'allonger les mains sur sa forte taille, sur ses gros bras, ainsi qu'il les enfonçait dans les barils d'olives et dans les caisses de pommes tapées.

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